Gabriel Dumouchel, Ph.D.

Avec mon collègue et ami Aurélien Fiévez, j’ai rédigé cet été un article pour Argus, la revue québécoise des professionnels de l’information. Notre article est récemment paru dans le numéro d’automne 2016 avec la magnifique illustration produite par la talentueuse Mélanie Leroux que je remercie au passage! 🙂 Étant donné que cette revue n’est disponible qu’en version papier, je vous présente ici une version manuscrite. Bonne lecture suivie d’une bonne réflexion! 🙂

Drones, robots, imprimantes 3D et réalité augmentée : la bibliothèque comme espace d’apprentissage tangible

Par Gabriel Dumouchel et Aurélien Fiévez (Université de Montréal)

Les bibliothèques scolaires et universitaires amènent principalement les apprenants à consulter sur place de la documentation papier ou numérique. Certes, diverses activités comme des ateliers d’animation y ont aussi leur place, mais quand un apprenant se rend sur les lieux, c’est souvent pour accéder physiquement ou virtuellement aux ressources documentaires (Lagarde et Johnson, 2014; May et Swabey, 2015). Or, cet état de fait signifie que l’espace de ces établissements est relativement peu employé pour réaliser des apprentissages tangibles visant la manipulation de documents ou d’outils et le développement de la dextérité manuelle des apprenants. Pour bonifier de tels apprentissages, ces bibliothèques gagneraient selon nous à intégrer certaines technologies émergentes.

Au sein d’une institution d’enseignement, les bibliothèques sont souvent les premières à obtenir les technologies novatrices, que ce soit avec l’arrivée du matériel audio-visuel ou de l’Internet (Wine, 2016). À titre d’exemple, il y a quelques années lorsque nous avons voulu enseigner l’utilisation pédagogique des tablettes tactiles en formation des maîtres à l’Université de Montréal, seules les bibliothèques en possédaient. Bref, avoir accès plus rapidement que d’autres aux technologies émergentes peut faire des bibliothécaires des adoptants précoces (early adopters). Ce positionnement stratégique offre aux bibliothèques d’excellentes occasions de prendre la tête de l’innovation sur le campus et de se rendre incontournables dans l’intégration des nouvelles technologies en milieux éducatifs. Dans cet article, nous proposons donc quelques pistes d’utilisation de technologies émergentes qui peuvent s’intégrer dans l’attirail des bibliothécaires-pionnier.ère.s pour favoriser des apprentissages tangibles.

Les drones

Récemment, des bibliothèques scolaires et universitaires ont expérimenté l’usage de drones à des fins diverses. Par exemple, dans le cadre d’un projet pilote en 2014, des étudiants universitaires pouvaient emprunter un drone à la bibliothèque de leur institution, et ce, après avoir appris à le piloter tout en étant supervisé par un membre du personnel (Figaro Étudiant, 2014). Les étudiants devaient utiliser le drone uniquement pour réaliser un projet académique, notamment en architecture afin d’observer les structures du campus universitaire du ciel plutôt que de se limiter à utiliser des plans en deux dimensions ou des maquettes (ABC Action News, 2014).

En avril 2016 au Japon, un drone a transporté des livres entre deux écoles situées à plus d’un kilomètre (Prodrone, 2016). Et quels livres ont eu droit à ce baptême de l’air? Trois copies du Petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry, lui-même aviateur!

Ces exemples démontrent le potentiel des drones dans les bibliothèques d’établissements de formation pour amener les apprenants à développer des compétences en pilotage, que ce soit pour filmer des images dans le cadre d’un projet éducatif ou pour faciliter le déplacement du matériel scolaire. Enfin, d’un point de vue pratique, différents aspects légaux entourent l’utilisation des drones au Canada. En effet, les usagers doivent disposer d’un Certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS) lors d’usages spécifiques comme la recherche, ce qui oblige à réaliser certaines démarches administratives avant d’utiliser un drone (Transports Canada, 2016).

Les robots

Bien qu’encore limités dans leurs fonctionnalités, les robots entrent graduellement dans les bibliothèques de tous les niveaux d’enseignement (Kepple, 2015). Ils permettent aux apprenants de concevoir, programmer et guider des robots pour résoudre des problèmes de natures diverses. Certains organisent des courses où des robots doivent se déplacer selon un tracé précis ou encore pour éviter des obstacles. C’est le cas du conte Robot-loup et les trois petits cochoBots, une activité proposée par Margarida Romero, professeure en technologies éducatives de l’Université Laval, et son étudiante en éducation préscolaire et en enseignement primaire Vivianne Vallerand (2016). Celle-ci est une adaptation du célèbre conte où des équipes d’apprenant.e.s programment des robots représentant le loup affamé ainsi que les cochons devant se réfugier à temps dans une maison. Les équipes doivent programmer trois mouvements à tour de rôle avant de faire bouger leurs robots en même temps.

cochobot_Romero_Vallerand2016

Romero et Vallerand proposent aussi de créer un conte de toutes pièces avec l’activité du Robot conteur. Les apprenant.e.s doivent alors guider chacun leur tour un robot vers des images représentant les composantes d’un conte produit collectivement, notamment les lieux, les personnages et les péripéties. De telles activités ludiques sont adaptables à divers contes et genres littéraires ; on pourrait d’ailleurs entrevoir des pièces de théâtre comme En attendant Robot ou encore des Histoires dont vous êtes le robot. Et quand ces robots auront majoritairement intégré la synthèse vocale, leurs actions ne seront plus limitées à de simples déplacements programmés : ils pourront parler et même chanter. Parallèlement, soulignons la création récente d’un robot-bibliothécaire pouvant recevoir des demandes verbales de la part des apprenant.e.s. et leur indiquer ou même les mener à l’endroit où se trouve un livre dans une bibliothèque universitaire (Chant, 2016). Bref, l’avenir est en marche et il arrive à pas de robot.

Les imprimantes 3D

Qu’elles servent à imprimer des formes géométriques en mathématiques ou d’anciens monuments en histoire (Girard, 2016), les imprimantes 3D présentent une multitude d’opportunités pour les bibliothèques d’établissements de formation. De ce fait, en milieu scolaire, un.e bibliothécaire peut l’utiliser pour produire des objets qui serviront dans ses ateliers d’animation en lecture. Ainsi, ces objets seraient complémentaires aux livres présentés et pourraient être distribués aux apprenant.e.s. Un.e bibliothécaire pourrait aussi aider des élèves à élaborer puis imprimer un nouveau jeu de société qui serait par la suite mis à la disposition de tous à la bibliothèque ou même commercialisé pour encourager l’entrepreneuriat des apprenant.e.s. En milieu universitaire, des bibliothécaires ont contribué à une panoplie de projets d’impression 3D qui vont de la création d’œuvres d’art pour des étudiants à des objets en ingénierie ou en sciences de la santé. À ce sujet, notons l’exemple plutôt cocasse de ce bibliothécaire de l’Université du Michigan qui a imprimé des nez d’enfants pour la faculté de médecine. Ces objets avaient pour but de permettre à des chirurgiens de s’entraîner à retirer des arachides que les enfants ont souvent tendance à insérer dans leur cavité nasale (Moorefield-Lang, 2014). En bref, avec les imprimantes 3D, les bibliothèques se dotent d’un service d’impression qui ne manque pas de caractère… éducatif.

La réalité augmentée

La folie du jeu Pokémon Go a capturé l’attention de tous à l’été 2016. Jeunes et moins jeunes se sont mis à marcher frénétiquement dans leur municipalité pour attraper des monstres virtuels qui apparaissaient sur l’écran de leur téléphone intelligent ou de leur tablette. Bien que ce jeu ait permis de populariser la réalité augmentée, celle-ci était déjà en usage depuis quelques années, notamment en éducation avec les codes QR et les livres numériques (Dugas, 2016). L’enseignant de philosophie François Jourde (2013) propose deux façons intéressantes d’utiliser ces outils en bibliothèque scolaire. D’une part, les codes QR peuvent servir à lier des travaux d’élèves sur le Web à des livres en format papier. Cela signifie qu’un autre élève qui lira le code QR accolé à un livre avec sa tablette ou son téléphone pourra accéder au travail d’un camarade sur ce livre. D’autre part, Jourde propose de faire usage de l’application Aurasma avec des manuels scolaires imprimés. Ainsi, lorsqu’un élève filmera avec son téléphone ou sa tablette un manuel comprenant un élément déclencheur créé avec l’application, il verra apparaître virtuellement une vidéo éducative qui démarrera automatiquement.

Cette démarche pourrait être employée par des bibliothécaires pour inviter des élèves à filmer des critiques de livres disponibles dans la bibliothèque. Des éléments déclencheurs seraient ensuite apposés dans ces livres pour mener les lecteurs au visionnement des vidéos critiques sur YouTube. Soulignons qu’avec la multiplication des prêts de tablettes dans les bibliothèques et la présence de téléphones intelligents, ces pratiques deviennent aisées pour les utilisateurs. Pour ceux et celles qui sont déçu.e.s que ces approches ne permettent pas exactement d’attraper des monstres dans leur bibliothèque, rassurez-vous : ce n’est qu’une question de temps avant que des clones de Pokémon Go à portée véritablement éducative n’apparaissent sur le marché.

drones_Melanie_Leroux2016

Bémols et potentialités

Bien entendu, l’intégration de ces technologies émergentes dans les bibliothèques scolaires et universitaires requiert du temps, de l’argent, du soutien technique, de la gestion, la mise en place de règlements, etc. Toute technologie offre sa part d’avantages et de défis qui dépendra de la réalité de chaque établissement. Par contre, l’intégration de ces technologies émergentes dans les bibliothèques vise certes à favoriser des apprentissages tangibles centrés sur le développement de la dextérité des apprenant.e.s, mais aussi à faire évoluer les mentalités à leur égard. C’est ce qu’on constate quand la direction d’une école affirme avoir choisi que ses élèves construisent des robots à la bibliothèque pour en faire un lieu d’action plutôt qu’un musée (Boyer, 2014). C’est ce qui se passe aussi quand un enseignant signale que l’arrivée des imprimantes 3D dans la bibliothèque de son école a permis de démontrer qu’elle ne se limitait pas à des livres (Sansing, 2015). Ces affirmations peuvent certes froisser certain.e.s bibliothécaires, mais représentent l’image que beaucoup de gens se font des bibliothèques, y compris parfois ceux qui oeuvrent dans le milieu éducatif. Cela démontre donc la nécessité d’instaurer une étroite collaboration entre le personnel enseignant et les bibliothécaires afin que les technologies émergentes puissent favoriser le développement d’apprentissages tangibles et changer progressivement cette perception erronée de la bibliothèque.

Bibliographie

ABC Action News. (2014). USF to offer drone check-outs to students.

Boyer, K. (2014). Robotics clubs at the library.

Chant, I. (2016). Library robot coming to Welsh university. Library Journal.

Dugas, J. (2016). La réalité augmentée dans un contexte d’apprentissage : note de recherche.

Figaro Étudiant. (2014). États-Unis: des drones en libre-service à la bibliothèque du campus.

Girard, M.-A. (2016). Petit guide de l’impression 3D à l’école. École branchée.

Jourde, F. (2013). Des codes QR pour lier des publications numériques d’élèves aux livres de la bibliothèque.

Kepple, S. (2015). Library robotics: Technology and english language arts activities for ages 8–24. Santa Barbara (États-Unis): Libraries Unlimited.

Lagarde, J. et Johnson, D. (2014). Why do I still need a library when i have one in my pocket? The teacher librarian’s role in 1:1/BYOD learning environments. Teacher Librarian, 41(5), 40‑44.

May, F. et Swabey, A. (2015). Using and experiencing the academic library: A multi-site observational study of space and place. College & Research Libraries, 76(6), 771-795.

Moorefield-Lang, H. M. (2014). Makers in the library: Case studies of 3D printers and maker spaces in library settings. Library Hi Tech, 32(4), 583-593.

Prodrone. (2016). Proving test for transporting school library books successfully conducted with drones in cooperation with Senboku City and NICT. Naka-ku (Japon): Auteur.

Romero, M. et Vallerand, V. (2016). Guide d’activités technocréatives pour les enfants du 21e siècle. Québec (Canada): CRIRES.

Sansing, C. (2015). 3-D Printing: Worth the hype? School Library Journal, mai.

Transports Canada. (2016). Sécurité des drones.

Wine, L. D. (2016). School librarians as technology leaders: An evolution in practice. Journal of Education for Library and Information Science, 57(2), 207-220.

(Visited 777 time, 1 visit today)
APP 2.0 : une nouvelle formation en ligne pour les tuteurs de la Faculté de médecine de l'UdeM
Bulletin du CPASS 2016: Cours en ligne ouverts aux masses et Curriculum du clinicien enseignant